Lucas Rahon : « J’avais envie d’enquêter sur les idoles qui m’ont fait grandir. »
Pouvez-vous vous présenter ? Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Lucas Rahon. Je suis comédien, metteur en scène et performeur drag-queen depuis plusieurs années. Je viens du Doubs, en Franche-Comté, mais je vis aujourd’hui à Paris, tout en étant très souvent à Rennes. Je travaille principalement au théâtre. J’ai d’abord fait une formation d’hôtelier au lycée avant de me réorienter vers le théâtre. J’ai intégré le Deust Théâtre de Besançon, une formation universitaire en deux ans. Ensuite, j’ai arrêté mes études et je suis venu à Paris, où j’ai suivi deux ans de conservatoire dans le 19ᵉ arrondissement. En parallèle, je collaborais déjà avec des amis qui commençaient à monter leurs propres créations et qui m’ont donné mes premiers engagements. C’est comme ça que j’ai commencé à m’ancrer professionnellement. Et en 2021, après le COVID, j’ai cofondé avec mon amie Solène Petit notre compagnie : Mordre ta Joue.
Portrait de Lucas Rahon © Chloé Signès
Pouvez-vous nous parler du spectacle ? Quels thèmes aborde-t-il ?
L.R. Le spectacle suit un adolescent âgé d’environ 11 à 16 ans. On accompagne son évolution, ses interrogations et sa construction identitaire : qui il est, comment il se construit dans le monde. On observe ce cheminement à travers différentes icônes de la pop culture : Claude François, David Bowie, Joe Frazier… qu’il convoque dans sa chambre. Il essaie de comprendre pourquoi ces figures l’ont influencé, d’où elles viennent.
Le spectacle aborde donc la question de la transmission : l’héritage familial, mais aussi l’héritage culturel et médiatique. Je parle du rapport idole/fan, du lien père/fils, et de comment la masculinité circule dans cette relation : comment on l’accepte, comment on la rejette, comment on la détourne ou on en fait un jeu.
C’est un seul-en-scène que j’ai écrit, mis en scène et dans lequel je joue, entouré d’une équipe. Notamment Solène Petit pour la collaboration artistique, et Pierre Sabrou, vidéaste-réalisateur, avec qui on a fait un gros travail sur la vidéo, notamment sur fond vert, dans une esthétique années 70. Il a réalisé un travail énorme là-dessus.
© Chloé Signès
Votre spectacle questionne l’héritage masculin à travers les icônes pop. Comment ces figures ont-elles influencé votre parcours artistique ?
L.R. À la base, dans ce spectacle j’avais envie d’enquêter sur les idoles qui m’ont accompagné en grandissant. Certaines ont compté, mais aujourd’hui je préfère les tenir à distance comme Claude François. J'étais très fan quand j'étais petit. Puis, j'ai grandi, plus j'ai appris l’homme que c’était. Disons que j’avais envie de « régler des comptes » au plateau. À l’inverse, David Bowie est une figure centrale du spectacle. Lui, je le garde toujours avec moi. C'est une tentative en fait de dire parfois merci, parfois adieu parfois de régler des comptes symboliquement.
Et il n’y a pas que mes idoles : j’y convoque aussi celles de mon père et de mon grand-père, pour interroger ce qui se joue dans la masculinité de ces hommes-là, dans ce qui est transmis ou non. Je me suis aussi rendu compte que toutes mes idoles sont mortes ou en train de disparaître. Je me suis dit « autant faire quelque chose avant qu’elles ne soient toutes parties. »
Et puis chaque homme a sa masculinité. Il y avait cette question : dans la construction de mon identité queer, qu’est-ce qui se joue là ? Qu’est ce qui se joue dans la masculinité ? Pourquoi j'ai cet héritage-là ? Quelles images les médias m'ont envoyé pendant toute mon enfance aussi ?
Y a-t-il une part autobiographique dans le spectacle ? Le personnage « LEFILS » s’inspire-t-il de votre propre vécu ?
L.R. Plus ou moins. c’est un personnage fictionnel qui n'a pas de prénom, qui n'est pas définie, qui s'appelle juste « LEFILS ». Effectivement, il y a des choses de moi, de mon intime qui sont dans ce personnage là, mais, ce n'est pas totalement moi non plus. Je me suis aussi beaucoup inspiré de la bibliographie des artistes qu'on convoque, des témoignages de leurs enfants aussi et de pouvoir jouer, en fait, avec ces ces frontières-là, pour troubler un peu la réalité.
© Chloé Signès
Votre pratique du drag influence votre travail au théâtre. Comment ces deux univers se rencontrent-ils ?
L.R. Je pratique souvent le drag au théâtre, c’est récurrent dans mes spectacles. Mais avant tout, pour moi, le drag est un outil : il offre des techniques de transformation, de maquillage, de posture, d’incarnation d’autres identités. C’est une matière de jeu qui appartient au théâtre depuis longtemps.
Dans ce spectacle-là, le drag n’apparaît qu’en vidéo. Je ne voulais pas être en drag sur scène. En revanche, il m’a servi à convoquer certaines figures, notamment féminines ou féminisées, très stéréotypées. En drag, j’incarne cinq speakerines des années 70 pour jouer avec l’univers médiatique de l’époque.
Le drag m’a aussi permis d’aborder et de jouer sur la question du sosie, comme ces fans qui se transforment pour un concert, un peu comme on l’a vu récemment avec Lady Gaga à Paris. Le spectacle s’ouvre d’ailleurs sur moi incarnant un sosie de David Bowie. L’idée, c'était de pouvoir se servir des outils de drag pour détourner le rapport idole/fan.
© Chloé Signès
Pour se plonger dans l’ambiance, quelles icônes musicales nous conseilleriez‑vous d’écouter avant le spectacle ?
L.R : Je conseille de découvrir Joe Frazier dont on parle beaucoup dans le spectacle. Boxeur américain des années 70–80, il a sorti plusieurs albums. Il chantait vraiment bien. Je recommande notamment le morceau Knock on the wood.
Et évidemment : écouter tout David Bowie. Personnellement, je recommande Five Years. Dans le spectacle, on utilise Moonage Daydream. Dans l'ambiance du spectacle, j’aime aussi Cosmic Dancer de T-Rex, qui m’a beaucoup influencé dans l’écriture du spectacle.
Et puis, le spectacle permettra de (re)découvrir certains morceaux le 2 décembre à 20h, au Tambour de l’Université Rennes 2 !
Propos recueillis par Kévin Jézéquel - Étudiant à l'Université Rennes 2, en novembre 2025. En partenariat avec l'Arène théâtre.